Les bases neuronales du calcul
L’intuition numérique Les symboles numériques nous ouvrent la voie à une arithmétique plus rigoureuse, mais ils ne sont pas détachés des racines approximatives de l'intuition numérique. Bien au contraire, chaque fois que nous sommes confrontés à un nombre écrit en chiffres arabes, notre cerveau ne peut s'empêcher de construire une représentation de la quantité qui lui est associée. Cette conversion se produit de façon inconsciente et automatique, à une vitesse éclair. Il est impossible de voir le chiffre 5 sans le traduire en la quantité cinq, même lorsque cette traduction ne nous est d'aucune utilité. Deux chercheurs israéliens ont présenté sur un écran d'ordinateur des paires de chiffres de taille variable, par exemple 3 et 5 , et ils ont mesuré combien de temps il fallait pour indiquer le symbole de plus grande taille. L'analyse des temps de réponse montre qu'il est beaucoup plus facile de répondre lorsque les dimensions physiques et numériques sont congruentes, comme dans la paire 3 et 5 , que lorsqu'elles entrent en conflit comme dans la paire 3 et 5. Il est apparemment impossible d'oublier que le symbole « 5 » veut dire la quantité « cinq ».
La représentation quantitative est à l'origine de notre compréhension intuitive des nombres. Si nous n'en disposions pas nous serions réduits à une manipulation purement formelle des chiffres, exactement comme un ordinateur effectue des calculs sans jamais en comprendre le sens.
On obtient un effet identique avec ce test où on ne peut facilement s’empêcher de lire les mots.
Donnez le plus rapidement possible la couleur de tous ces mots.
Notre cerveau n'est pas programmé pour les mathématiques De nombreuses espèces animales sont capables de comparer mentalement des quantités. Un pigeon par exemple, entre un tas de 6 graines et un tas de 9 graines, choisira le plus grand. Il s'agit d'une intuition directe des quantités numériques, un sixième sens numérique qui permet de percevoir le nombre au même titre que la couleur, la forme ou la position des objets. Mais cette intuition n'est qu'approximative, elle décroît avec la taille des nombres et leur proximité. Les pigeons ne peuvent pas distinguer 29 de 30. Les mathématiques, construction culturelle Mis à part ce compteur approximatif, notre cerveau ne contient pas d'unité programmée pour les mathématiques. Mais l'homme a été doté par l'évolution d'un mécanisme supplémentaire : le langage. A l'aide de mots et de symboles, il apprend à étiqueter une infinité de nombres. Des nombres proches tels que 29 et 30 peuvent alors être distingués. Pour multiplier deux chiffres mentalement, il recrute un vaste réseau d'aires cérébrales dont les fonctions n'ont initialement rien de commun avec les mathématiques, mais qui, collectivement, parviennent au but. Des règles purement formelles pour comparer, additionner ou diviser deux nombres apparaissent et sont susceptibles de se répandre par le langage et l'éducation à toute la population. Le nombre acquiert alors une vie propre, détachée de toute référence aux objets de la vie réelle. L'édifice mathématique tel que nous le connaissons aujourd'hui a pu ainsi se construire en quelques milliers d'années seulement.
Stanislas Dehaene